Michel Houellebecq

La Carte et le territoire

Michel Houellebecq & Flammarion. J’ai lu. 2010

Lecture de José Strée terminée en août 2019

 

Ce livre m’a plu, bien que je le trouve moins bien écrit que Soumission. Il y est également question du déclin de notre civilisation, d’un monde voué à l’extinction avant sa liquidation. Ce qui m’a plu, c’est qu’il traite de questions relatives au marché de l’art, au doute inhérent à la création artistique. Jed Martin, le personnage principal est un artiste qui ne sait où il va, n’a pas de programme, mais une problématique et c’est certainement cela qui nous le rend crédible. Certains chapitres semblent inutiles, même si de minuscules détails ne sont pas oubliés tout au long de l’ouvrage comme les problèmes de chauffe-eau et de plomberie de l’artiste héros du roman.

On y découvre le fonctionnement d’une galerie parisienne soucieuse de correspondre au marché et aux tendances du moment, certains concepts inhérents à l’art contemporain, par exemple l’attitude de l’artiste qui seule compte aux yeux du galeriste, plutôt que son aptitude artistique. Houellebecq semble d’ailleurs relever ce trait en offrant par contraste l’exemple d’un William Morris (1834-1896) chez qui, et pour qui, l’artisanat compte avant tout. L’auteur, sans véritablement le déplorer, montre que l’art contemporain, de manière très large, s’est débarrassé de “savoir-faire” au profit du concept. L’art minimal et le fonctionnalisme sont présentés comme une vitre contre laquelle viennent se cogner les artistes qui n’adhèrent pas à ces options artistiques. Dans le roman, apparaîssent comme représentants d’un totalitarisme artistique Le Corbusier, Van der Rohe mais aussi l’école du Bauhaus.

Houellebecq semble vouloir montrer qu’il serait encore possible d’envisager un retournement : l’art pourrait comme l’évoquait Chesterton réapparaître dans ses fondements spiritualistes et individualistes.

La création assurée par des assistants semble quelque peu moquée (Koons, Hirst, mais aussi bien les artistes de la Renaissance tels que de Vinci ou Rubens sont présentés comme des entrepreneurs, des maîtres en relations publiques). C’est sans doute la raison pour laquelle l’exemple de William Morris tient une place si marquée dans ce roman, comme contre-valeur, puisque l’artiste anglais défendait contre vents et marées de l’ère industrielle le travail manuel et individuel. Son idée maîtresse était d’abolir la différence née à la Renaissance entre arts majeurs ou beaux-arts et arts mineurs.
Houellebecq évoque Proudhon, Marx, Owen, Cabet, Fourier, Tocqueville, qui sont des réformateurs sociaux soucieux d’eudémonisme (en réalité des idéologues, dont les concepts ont généré soit les barbelés soit un libéralisme utopique). Il leur adjoint des formes d’art guidées par des idéaux progressistes comme l’art nouveau, William Morris, ou spiritualistes comme les peintres préraphaélites (Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones…). Il s’en dégage une forme de moralité teintée de nostalgie, qui me semble la signature même de Houellebecq.

Je trouve audacieux que l’auteur se mette lui-même en scène dans son roman. D’ailleurs, il n’y a pas le plus beau rôle. Il se décrit tel qu’il est, solitaire, obsédé, cynique, victime, mais doté d’une grande curiosité culturelle. Son point de vue sur l’art contemporain (celui du Houellebecq personnage du roman) peut y apparaitre comme critique à l’égard de grands courants picturaux, sculpturaux et architecturaux tels que le minimalisme, l’art conceptuel ou le fonctionnalisme. Le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel est d’ailleurs évoqué dans le roman, celui-ci, (qui le sait ou le sait encore ?) défendait des artistes éloignés de ces courants, tels que Beuys, Degottex, Opalka, van Velde, Paladino, Dietman, Pincemin… et déplorant la méthodologie dans l’art, la dépersonnalisation, la dématérialisation de l’art, la fin de l’art.
José Strée