Étrange et fascinante exposition que celle qui se tient jusqu’au 12 mai 2019 au Museum Hof Van Busleyden à Malines. Une présentation de front de mondes très distincts, d’une part l’univers de Jardins clos réalisés par des religieuses du 16e siècle, sortes de reliquaires contenant des figures de la religion catholique, des objets divers et un foisonnement de fleurs artificielles façonnées ; d’autre part de hauts reliefs gigantesques de la Gantoise Berlinde De Bruyckere (née en 1964).
Le mot qui me vient à l’esprit pour en évoquer la sensation reçue est le mot « congruence ». Ce terme, issu du langage de la chirurgie désigne l’adaptation parfaite de deux parties d’une articulation. Et c’est bien une articulation, mais de trois parties, qui est proposée aux spectateurs de cette surprenante exposition, une articulation a priori improbable. En effet, comment réunir et faire fonctionner le monde miniature, raffiné, surchargé de ces créations du 16e siècle constituées par l’assemblage de fleurs en soie, de représentations de fruits, d’oiseaux, d’insectes, de saints sculptés en bois polychromes, d’inscriptions, de poupées de Malines… le tout positionné derrière une clôture en premier plan, et d’autre part des hauts-reliefs de l’artiste contemporaine quant à eux cernés de cadres en bois, monumentaux, évoquant des pivoines ou des lis (pour ma part j’y perçois aussi bien des silhouettes humaines), et enfin, troisième élément en présence, le mythe grec de Hyacinthe, jeune homme d’une grande beauté, aimé d’Apollon, mais qui trouva la mort, frappé à la tempe, et du sang de laquelle naquit la fleur qui porte son nom ?
Ces trois univers mêlés laissent le spectateur dubitatif, décontenancé et tout à la fois émerveillé, quand il n’éprouve pas un sentiment de répulsion. En effet, les détails réalistes des Jardins clos s’opposent à la suggestivité des formes flasques des œuvres de l’artiste gantoise ; la surabondance des réalisations des nones diffère de l’apparente simplicité de composition de l’artiste flamande ; l’aspect narratif des œuvres du 16e siècle fait face à toute tentative explicative quant aux formes créées par l’artiste contemporaine.
Tout s’oppose, et tout fonctionne pourtant. Voilà, semble-t-il, le tour de force accompli sur le plan conceptuel par la sensibilité et l’intelligence de Berlinde De Bruykere, Sigrid Bosmans et Lieve Watteeuw.
Jardins paradisiaques, membres avec stigmates, couvertures qui protègent ou qui enferment, matériaux rares et matériaux de récupération, des fleurs qui attirent ou qui empestent, des végétaux qui s’ouvrent et d’autres qui s’étiolent, de superbes dessins de sexes humains pouvant tout aussi bien repousser l’observateur pudique… bref, nous trouvons ici réunis des ingrédients appartenant à l’arsenal des formes choisies par la religion catholique, mais dans lequel peut tout aussi bien s’y complaire l’hédoniste athée.
Le titre de l’exposition sert de lien entre ces trois mondes puisque « It almost seemed a lily », « On dirait presque un lis » renvoie aux Métamorphoses d’Ovide qui décrivent la fleur violette dans laquelle est transformé à sa mort l’éphèbe Hyacinthe. Beauté, horreur, amour, mort, turgescence, flétrissure… c’est toute la complexité du réel et de la conscience qui est convoquée par cette exposition audacieuse et remarquable.
On ne sort pas de cette « exhibition » sans se poser des questions quant aux processus techniques que De Bruyckere emploie. Sont-ce des moulages couche sur couche de peaux d’animaux ? Ces matières sont-elles peintes ou naturelles ? Quelles structures internes soutiennent ces pesantes formes flasques ? Comment s’y prend-elle pour manipuler et façonner celles-ci ? Comment se conserveront ces œuvres aux matériaux si peu pérennes ?
José Strée
José Strée
4 mars 2019