La peinture de Leonardo Galliano semble décrochée du temps en ceci qu’elle ne semble que très peu concernée par l’actualité, les réalités technocratiques, les productions du monde actuel. Pourtant cette peinture évolue dans un microcosme de signes, de surfaces, de lignes et de couleurs, qui sont comme une consolation, un chant d’espoir dans un temps de doutes.
Un dynamisme mesuré habite ses compositions au statisme propre aux natures mortes, ce que ne sont pourtant pas ses peintures récentes. Elles en ont l’aspect, mais elles ne proviennent pas d’une observation attentive d’objets disposés dans l’atelier. Les formes, les lumières, les plans relevés, les gestes picturaux… proviennent de son musée imaginaire, de sa confrontation avec toute la peinture occidentale, du trecento à la peinture moderne.
La question enivrante que pose ce peintre italien semble être celle-ci : comment parvenir à un tableau qui ne tienne que par la peinture, mais qui ne se dérobe pas à la vie ? Car on a affaire ici à un artiste qui trouve son ancrage d’homme en la présence — et dans l’attente solitaire — dans l’atelier. Peindre est vivre. Voilà ce que dit cette peinture qui figure si peu, cette peinture qui entretient, chose devenue rare, comme un rituel dans le déroulement des jours. Se trouver seul, face à la toile, conscient de « fonctionner » dans un paradigme, mais se trouver vivant, vivant de la façon la plus certaine qui soit.
Son art n’est pas le produit d’une réaction contre la société, n’est pas le résultat d’une révolte, non, sa volonté est d’être universel, et pour cela, son combat consiste à être singulier en se forgeant un langage personnel qui le mène vers l’originel. Chaque artiste doit savoir qu’il procède au sein de conventions établies, mais il doit faire en sorte que son art consiste à transcender celles-ci, au bénéfice d’une réalisation unique.
Ce qui nous émeut dans sa peinture, c’est en fait ce que nous ne voyons pas directement, mais à quoi nous participons. Notre réalité est en quelque sorte convoquée par son langage. Ce qui, dans celui-ci, a disparu ou a tendu à disparaître devient le fil conducteur entre notre vie et cet « outre-monde » qu’est l’art.
Galliano ne dessine pas au sens réel — car dessiner engage une volonté dominatrice, une démarche possessive —, mais au sens abstrait, gestuel, et dans cette pratique, le raisonnement s’évanouit au bénéfice d’un lâcher-prise qui libère la trouvaille, la jubilation esthétique, la création.
Cette peinture-ci semble se tenir à un impossible : ne rien traduire — à quoi bon si on considère que la vie n’a aucun sens —, ne rien dire — car dire n’est pas ce avec quoi un peintre procède —, ne rien peindre — car cela impliquerait de planter le chevalet face à quelque chose de visible. De cet impossible, surgit pourtant et avec quelle tension, la peinture, seul sujet de l’artiste. Il sait bien que la plupart des gens sont incapables d’accommoder leur vision au carreau que constitue l’oeuvre d’art peinte, qu’ils passeront au travers sans s’attarder sur ce qui fait l’oeuvre véritablement, mais il poursuit sans relâche, car il sait que le seul langage qui compte, c’est celui de l’art, c’est celui de l’indéfinissable et du monde voilé, plus beau, plus poétique, plus musical aussi. Pour ce faire, Galliano s’est créé un univers cabalistique propre, qui, loin d’être systématique, est un processus changeant, au gré des années. Le mystère est donc bien le terreau de son art, et à ce titre, la transcendance est ce à quoi tend sa peinture : une « réalité » qui se situe hors d’atteinte de l’expérience humaine. Il n’imite donc rien, mais crée la forme, il n’imite donc pas la vie, mais trouve un équivalent de la vie.
Il pourrait dire comme Matisse : « Mon problème est de trouver l’accord entre mon dessin, les couleurs et mon sentiment. »
Son art est certes un langage, mais sa décision d’être peintre lui enlève le droit de s’exprimer autrement qu’avec ses pinceaux. À l’heure où le discours sur l’art a acquis une place supérieure à l’acte artistique lui-même, la peinture de Leonardo Galliano nous rappelle que le langage pictural se suffit à lui-même, que le tableau continue de disposer de son autonomie.
Article rédigé à l’occasion de
l’exposition Galliano – Strée à l’Espace d’exposition temporaire
rue des Anglais 55 à Liège
les 23, 24, 25 septembre, 30 septembre, 1 et 2 octobre 2016
et à La Maison d’Images
Place de Chablis 15 à Ferrières
du 22 octobre 2016 au 22 janvier 2017
José Strée
Juillet 2016