par José Strée
suite à la lecture du livre Les Anartistes de Michel Onfray
paru chez Albin Michel en 2022.
L’ouvrage de Michel Onfray Les Anartistes m’a plu, alors que je connaissais pourtant bien des aspects des Arts Incohérents. J’en parle d’ailleurs dans ma conférence Parcours dans l’art du 20e siècle dès 2017 et j’y propose que certaines bases de Dada, du Futurisme et du Surréalisme et même du Nouveau Réalisme s’y perçoivent.
Le livre d’Onfray soulève maintes questions à propos de la mort de l’art, de l’artiste, du beau, au moment où selon lui, la mort de Dieu est « actée ».
Au terme de cette lecture, je me pose des questions sur ce qui confirme ma sympathie pour ce courant marginal qui intègre l’humour, affirme une position critique face à la société industrielle et bourgeoise, face aux systèmes en place, à la quête d’honneurs, etc, et dans le même temps, ne diminue pas ma préférence pour les œuvres qui ne correspondent pas à ces valeurs et ces orientations. Je me trouve encore quelque peu contrarié par la place prise dans les circuits des arts par le burlesque, la bouffonnerie, l’humour noir ou grinçant, la revendication, l’engagement… Je sais apprécier ces valeurs dans les circuits des beaux-arts, mais je ne les cherche jamais. Quand je les rencontre, j’en saisi généralement le sens, l’utilité, la pertinence… mais je m’en détourne très vite, en quête de surprises plus classiques peut-être, en tous cas, moins révolutionnaires et plus édifiantes sur le plan plastique. Le beau (selon des critères qui sont miens) reste pour moi une source d’attraction majeure.
Sauf dans des expositions de bandes dessinées et de caricatures bien sûr, le besoin de rire dans des lieux dédiés aux arts plastiques ne m’est jamais nécessaire. Je n’y vais pas pour cela. Un gag d’un Maurizio Cattelan, une espièglerie d’un Erwin Wurm, le sensationnalisme d’un Ron Mueck ou d’une Orlan, d’un Damien Hirst… sont pour moi de nature déceptive. Je continue d’être attentif aux formes et volumes qui entretiennent quelque intrigue, quelque surprise, quelque proposition outrepassant le réel, s’éloignant des miasmes de l’ici-bas et m’élevant en quelque sorte vers une symbiose avec le cosmos, avec l’existence, avec les raretés naturelles ou culturelles… Je crois que j’ai surtout besoin de rencontrer « un monde nouveau », en l’espèce, un univers créé de mains humaines, aussi peu que possible assisté de technologies, d’effets sidérants, de moyens artificiels. C’est ainsi que je peux être plutôt attiré par de petits formats, par des formes simples, par des recours naturalistes (les arachnides de Tomas Saraceno, les troncs épluchés de Giusepe Penone), par des silhouettes humaines énigmatiques (Paloma Varga-Weisz, Anthony Gormley, Francis Alÿs), par des énigmes scripturaires (Dotremont, Thierry De Cordier, le facteur Cheval), par l’inventivité des artistes de l’art brut (Adolph Wölfli, Aloïse Corbaz)… Bref, des univers qui ne versent pas dans le divertissement, la critique sociale, la moquerie.
Tout est bien sûr envisageable, il n’y a pas de sens absolu qui vaille, pas de mode d’expression qui soit supérieur à un autre. Une œuvre ne détrône jamais une autre œuvre. Les comparaisons sont des sources d’exclusion, mais pourquoi n’y aurait-il pas de nouveau place au cœur des expositions pour d’autres inclinations que celles de la nouveauté systématique, de l’espiègleries ou de la contestation ? Pourquoi l’affirmation de valeurs hors mode, hors « esprit du temps » ne vaudraient-elles pas d’être exposées et mises en avant ?
Certes, pénétrer un lieu de culture avec un besoin trop circonscrit peut-être source systématique d’insatisfaction. S’il m’est plaisant de me laisser surprendre par n’importe quel recours que les artistes jugent bon d’utiliser, qu’il s’agisse de l’humour, de la provocation, du dévoiement, du détournement, de la revendication politique… ce n’est cependant pas cela qui me rend homme plus complet, plus désireux d’en découdre encore avec la création. Pour moi, une bonne exposition est une exposition qui me presse à regagner l’atelier pour y vivre à mon tour des expériences nouvelles, pour y relever des défis qui me concernent, pour y jouir d’une saine solitude, y confronter mes doutes, salutaires à toute création.
Je pense que la connaissance du fruit de la création de mes contemporains ne m’est guère propice dès lors qu’il s’agit pour moi de créer authentiquement. Et ce peut être un tourment pour moi d’être confronté quelques fois à des œuvres jusque-là inconnues, parce qu’elles vont insidieusement contrarier mes orientations plastiques et expressives patiemment posées. Pour qui a confiance en ses possibilités, il est sans doute préférable de ne pas trop côtoyer les œuvres de ses contemporain, mais plutôt de s’intéresser à des secteurs n’appartenant pas aux beaux-arts. Lorsqu’on a adopté une posture, une tendance, un style qui ne sont pas les siens, on ne doit pas s’étonner d’être propulsé hors de son orbite, de sa trajectoire accoutumée. Il est si facile de se retrouver éloigné de sa marche, il est si facile de suivre un cheminement, un concept, mais au final, cette facilité est un leurre, elle n’épargne aucun artiste. Qu’aurait créé Duchamp s’il n’avait pas connu les Arts Incohérents ? Sans doute un œuvre tout différent, peut-être dans l’esprit et la manière du fameux tableau « Nu descendant un escalier » ?
José Strée
Le 8 mai 2022